Colloque AFSCET -MCX de la Presqu'île de Giens . ,5-6 oct. 98

STRESS ET COMPLEXITE

( résumé de l'intervention de J.L. Le Moigne)

Stress et Complexité , deux concepts qui , dans nos cultures contemporaines , entrent en résonances et sont perçus en co évolution : la complexité perçue suscite le stress , et le stress est perçu complexe!

Concepts construits plutôt que donnés , dont le statut est phénoménologique (le sujet en a l'expérience ) plutôt qu'ontologique (objet a priori indépendant du sujet qui le décrit) . Sans doute est ce pour cela que la Science occidentale dite moderne a tant tardé à les considérer sérieusement .

Le stress a une connotation complexe , pas toujours négative : l'origine du mot est sans doute celui de la tension , voir le conflit ou le jeu dont on ne connaît pas sûrement l'issue . Sans tension , peut il y avoir vitalité , création , plaisir de faire , source de connaissance (Sans inquiétude , pas de recherche scientifique concevable , dit J Wagensberg dans "l'Ame et la Méduse") . Mais cette nécessaire incertitude perçue quant aux issues , condition de perception du stress n'est elle pas aussi l'argument fondateur de la complexité : "une intelligible imprévisibilité essentielle " dit P. Valéry .

Dés lors qu'on peut le décrire ainsi , ne crée t on pas les conditions pour le comprendre , ce qui ne veut pas dire le dominer ou le résorber , en ne cherchant pas d'abord sa "cause" ou son "explication" ? "Je n'ai jamais cru aux explications , mais j'ai cru qu'il fallait chercher des représentations sur lesquelles on put opérer , comme on travail sur une carte …ou sur une épure , et qui puisse servir à faire " (P.Valéry, Cahiers , Pléiade T.1 p.854)

Représentation de la Complexité : … d'un phénomène perçu par un sujet : Se libérer de la représentation dite ontologique classique ("grand nombres d'éléments différents en interactions multiples ", multi dimensionalité , hétérogénéité, etc.…) qui rend compte de la complication (ou de l'hyper complication , potentiellement toujours analysable (il suffit d'y mettre le prix) , pour privilégier une représentation phénoménologique , au demeurant très familière dans l'expérience cognitive de chaque sujet se représentant ses propres perceptions (telles que justice , amour , liberté , etc.). Des représentations qui privilégient le Faire plutôt que le Fait , l'Acte plutôt que la Chose . Les trois caractéristiques de la modélisation de la complexité perçue (par un sujet ayant projet de représentation de ses perceptions , téléologique donc ) , aujourd'hui les plus généralement admises , sont :

a. L'inséparablilité , ou la contextualisation de l'observacteur. ("Si tu veux représenter un arbre , tu ne peux le séparer de son contexte" L. de Vinci)

b. L'irréversibilité , temporelle , ce qui nous prive de la certitude illusoire donnée par l'argument du "toutes choses égales par ailleurs "

c. la récursivité , autrement dit : prendre au sérieux l'argument de Pascal : "toutes choses étant causées et causantes , médiates et immédiates , aidées et aidantes ", ou encore "opérateur et opérande ". Exercice à la fois très aisé dans l'usage courant (ou la modélisation discursive; on a les mots pour le dire : tout ce qui désigne à la fois l'action et son résultat , les substantifs verbaux et bien d'autres : jeu, énergie , etc. ) et assez malaisé encore dans la modélisation formalisée , mathématique ou autre (informatique , chimique , etc. ).

 

La modélisation systémique se redéploye depuis 30 ans , retrouvant la tradition modélisatrice de la culture hellénique , pour restaurer dans nos pratiques de représentations des phénomènes perçus , cette symbolique du "diségno" (L. de Vinci) riche et féconde , que la modélisation analytique (ou réductrice) avait fait oublié à nos cultures , arguant de l'illusoire efficacité de la modélisation par simplification : le "clair obscur" est un mode de représentation au moins aussi légitime que "le clair et net ": Que de stress suscités parce que "ce n'est pas clair et net" , alors qu'on pourrait tenir pour normal , utile , apaisant, de percevoir le sfumato qui révèle souvent les représentations intelligibles (Boutade , mais ne peut on se demander si avant Descartes ou A.Comte , les sujets étaient "stressés"? Ils n'avaient en tout cas pas inventé le mot , qui n'apparaît que vers 1937 à l'apogée du positivisme ; peut être parce qu'ils n'en éprouvaient pas le besoin ? )

Du Prescrire au Décrire : ce que met en valeur la modélisation des systèmes complexes , c'est le glissement de l'attention : plutôt que de s'acharner à résoudre un problème très vite posé (et souvent imposé par des tiers ) en cultivant à l'extrême des méthodes sophistiquées de résolution, méthodes qui ont l'avantage d'être aisément enseignables par voie magistrale , et en veillant à ce que la méthode donne une "meilleure solution " (le vrai et le bien sont alors identiques et il n'est plus de question éthique !) , ne peut on s'entraîner à "décrire" , intelligiblement (ce qui , en général ne veut pas dire "simplifier "), les contextes potentiels autant qu'actuels dans lesquels on perçoit son action ? : l'exercice suscitera habituellement la conceptions d'actions possibles entre lesquels il faudra choisir sans être jamais certain qu'il s'agit du bon choix ni du seul bon choix!

Mais cette pratique modélisatrice , dés lors qu'elle n'est plus tenue comme ancillaire , mais au contraire comme la seule digne du sujet connaissant et agissant , se développe aisément dans nos culture à condition qu'on s'y exerce avec "une obstinée rigueur" (L. de Vinci), en veillant sans cesse à comprendre (donner du sens) plutôt qu'à "appliquer" des méthodes faites ailleurs , par d'autres , dans d'autres contextes

"N'aspire pas , chère âme à la vie éternelle (unique et nécessaire ) , mais explore le champ des possibles " Le vers de Pindare disait déjà ce projet modèlisateur ,il y a 2500 ans : décrire , n'est ce pas explorer le champ des possibles ?

Ce qui appellera une réflexion conjointe sur "le bon usage de la raison dans les affaires humaines , désacralisant le mode trop exclusif et rarement justifié en raison de la déduction (validité des 3 axiomes d'Aristote ou des 4 préceptes de Descartes ? ) , et revalorisant "l'ingénium " et la délibération dans nos cultures et nos pratiques . Protagoras , J.Locke , ou J.Dewey , pour camper trois figure fortes et oubliées , peuvent nous aider à "bien raisonner " , fort pragmatiquement, en inventant sans cesse de nouvelles stratégies cognitives a fin de , "en marchant construire nos chemins"; ce sera souvent en nous exerçant à une ascèse epistémique en effet difficile ("Que sera le prochain pas? " H.Simon 1976) qui légitime notre dignité d'acteurs solidaires et responsables, sur cette petite planète qui dérive dans un univers peut être totalement , peut être tendrement (A.Camus), indifférent … et peut être pas du tout , lui même passionné par "cette aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain …s'est engagé, allant je ne sais où. (P.Valéry , O.C. Pléiade , T.1 p. 1075) .