Cybernetics and Human Knowing : the age of F. VARELA, 1946-2001.

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

L'éditeur de la revue Cybernetics & Human Knowing, Soren Brier a eu l'excellente idée de consacrer ce numéro à un "Mémorial Francisco Varela ", nous aidant ainsi à prolonger les échanges et les stimulantes réflexions de ce "chercheur & penseur" si attachant et trop tôt disparu le 28 mai 2001. (Le site MCX-APC avait consacré aussitôt un mémorial auquel contribuent déjà certains de ses amis et lecteurs de langue française http://www.mcxapc.org/conseil/varela.htm, mémorial que cette note de lecture MCX contribuera peut-être à alimenter).

On ne peut ici que mentionner succinctement les pièces de ce dossier qui intéressera non seulement les nombreux admirateurs de l'œuvre de F.Varela, mais aussi tous ceux qui s'attachent à tenter de comprendre les processus d'auto - référence par lesquels se forment toute pensée humaine. Dossier original en ceci que, s'il n'éclaire que quelques aspect de son œuvre scientifique et épistémologique et de sa pensée philosophique, il en propose un éclairage plus historique et parfois courtoisement critique, d'inspiration générale plus anglo-saxonne que francophone.

Trois des articles (soit plus de la moitié du dossier) sont en effet écrits par des auteurs qui travaillèrent (et publièrent) avec F.Varela au début (L.H. Kauffman, R. Glanville) ou à la fin (Andreas Weber) de sa vie, la plupart des autres étant consacrés à la discussion de sa contribution potentielle à une cyber-sémiotique ou à une bio-sémiotique qui serait en formation aux marches des sciences de la cognition.

Est il légitime de considérer que la pensée et l'œuvre de F Varela connurent une sensible évolution et même un changement de paradigme de référence ? Entre le célèbre article de 1975, "A calculus of self-référence " (je me souviens du "choc"que me valut sa lecture en 1976-77, lorsque J.P. Dupuy rapporta ce texte d'Amérique, publié dans le premier volume de l'IJGS en 1975), et l'ouvrage de 1991 "The embodied mind ", témoignant de l'inspiration que F.Varela trouvait dans une méditation bouddhiste tibétaine (ouvrage auquel cinq auteurs consacrent ici des notes de lectures d'une tonalité contrastée), il y a peut-être plus qu'une différence de registre ? Le référentiel épistémologique ne semble pas être le même. R.Glanville , qui co-rédigea avec lui en 1979 un article intitulé " Your inside is out and your outside is in " , publié en 1981, le suggère lorsqu'il écrit : "A cette époque (été 1979), ses centres d'intérêt et ses réseaux personnels commencèrent à changer. Il s'éloignait de son implication directe en cybernétique et devenait profondément impliqué dans le bouddhisme, pendant qu'il se sentait lui-même plus à l'aise dans une culture française que dans l'anglo-saxonne … ". Témoignage qui conforte ma propre perception : J'avais été surpris, et d'une certaine façon, déçu par la différence de ton et les différences de contenu entre l'original et la traduction française (par P.Bourgine et P.Dumonchel) de son premier grand ouvrage, "Principles of biological autonomy " publié en 1979, et sa traduction publiée en 1989 sous le titre "Autonomie et connaissance, Essai sur le vivant ".

La tendance à rejeter à rejeter ou à dénigrer, sans l'argumenter, ou avec des arguments caricaturaux, "l'hypothèse du computo" (que remarque ici S.Goerner, "Systems theorist", p.87), au profit exclusif d'un connexionisme radical quasi béhaviorisme de type S.R. (Stimulus Réponse), se révélait déjà dans cette traduction (qui sur 10 chapitres ne reprend que 3 chapitres de l'ouvrage original, lequel en comptait 16). Ce n'était pas, bien sûr, la formulation d'une nouvelle hypothèse qui me surprenait, mais le besoin d'affirmer que les autres hypothèses (chronologiquement tout aussi nouvelles), ne méritaient aucune attention, ceci au nom d'une épistémologie dont l'inspiration bouddhiste ne se manifestera explicitement que plus tard, dans "The embodied mind ". Bouddhisme dont H.Guenter, "Buddist Scholar", conteste même l'orthodoxie (p.90).

Mais ces interrogations que je relève au fil de la lecture de ce dossier doivent être portées au crédit de ce dossier - mémorial. Il est suffisamment documenté et varié pour ne pas succomber à la tentation usuelle de ce genre littéraire, qui est celle des facilités de l'hagiographie. Certes, S Brier souhaite explicitement faire porter l'œuvre de F.Varela au profit de la doctrine de la cyber-sémiotique qu'il plaide avec chaleur et avec quelques solides arguments. Mais il le fait avec tant de probité et de sérieux documentaire qu'on ne peut que l'en féliciter. Et, pour les lecteurs francophones peu accoutumés à ces interprétations anglo saxonnes de la théorie de l'auto-poïése que F.Varela et H.Maturana ont si remarquablement formulé avec H. von Foerster il y a trente ans, ce dossier sera certainement fort enrichissant. Les autres souhaiteront peut-être le critiquer, ou discuter la lecture que j'en esquisse ici ? Nous serons tous enrichis par ces échanges, suscités par un des chercheurs les plus attachants et les plus stimulants que nous avons pu rencontrer au fil de ce dernier demi-siècle.

En concluant, je mentionne la référence au denier texte de F. Varela, dont j'apprends ici qu'il parut juste après sa mort : "Intimate distances : Fragments for a phenomenolgy of organ transplantation ", dans "Journal of Consciousness studiesf , vol 8, n° 5-7, p. 259-271f. Ce texte est repris dans un ouvrage collectif édité par Evan Thompson sous le titre "Between Ourselves, second person issues in the study of consciousness, For Francisco J. Varela, 1946-2001, in memoriam. " Imprint Academic, U.K., 2001, ISBN 0907845142, 320 pages.

J.L.Le Moigne