Peirce et la signification : introduction à la logique du vague

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

La bibliothèque des sciences de la complexité ne peut pas plus ignorer les oeuvres de C.S. Peirce qu'elle ne devrait ignorer celles de ses successeurs implicites que sont P. Valéry et H.A. Simon. Longtemps, et aujourd'hui encore, la complexe pensée du fondateur de la sémiotique, de la pragmatique et de la "logique du vague" est restée mal connue, en Europe en particulier, peut-être parce que les philosophes et les épistémologues ne l'avaient pas encore enregistrée dans leur catégorie (ni cartésien, ni réductionniste, ni positiviste, ni... mais qu'est-il donc alors ?), et parce que les logiciens étaient gênés par sa conception par trop ouverte de la logique (une "grammaire spéculative" ou une "proto-logique", voire "la sémiotique tout entière"). Conception que Peirce développa dans une oeuvre relativement difficile d'accès (comme P. Valéry,1870-1945, il a relativement peu publié de son vivant 1839-1914). La "récupération" de la pensée Peircienne à laquelle se livrait quelques chercheurs en sciences de la cognition depuis une dizaine d'années semblait souvent superficielle et accentuait peut-être la réputation de "non conformisme systématique" dont on l'a souvent affublée. On avait déjà, dans quelques précédents "Cahiers des lectures MCX", repéré plusieurs ouvrages qui proposaient de renouveler un peu notre intelligence de cette pensée complexe (cf., en particulier, l'ouvrage de N. Tiercelin commenté dans la Lettre MCX n°21, automne 94). Mais avec "l'lntroduction" que vient de publier C. Chauviré, nous disposons, me semble-t-il, d'un panorama critique très richement argumenté de bon nombre des aspects de la "méthodeutique" de C.S. Peirce. Pensée complexe et évoluante, à la fois irréductible à une synthèse et prêtant le flanc à nombre de discussions critiques par ses a priori, nous trouvons dans cette oeuvre un "terreau sémiotique" qui, fort pragmatiquement, contribue à notre intelligence modélisatrice, dès que l'on accepte l'effort, relativement aisé, de s'approprier un appareil conceptuel aussi accessible que celui de la plupart des grandes disciplines contemporaines. Appropriation qui n'implique pas adhésion, mais capacité à reconnaître. La thèse deC. Chauviré, thèse de philosophe professionnel, peut et doit nous y aider dès lors qu'on ne s'arrête pas aux premières pages (qui s'adressent un peu trop aux seuls initiés) et que l'on se laissé prendre par l'oscillation familière aux modélisateurs de systèmes complexes, entre le "trop vague" et le "trop général", à la recherche pragmatique d'un compromis délibéré parce qu'intentionnel.

J.L. Le Moigne