Intelligence Collective

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

"Intelligence collective" est un ouvrage collectif (titre oblige) sans doute et pourtant fortement personnalisé : chacun des huit chapitres est rédigé par un ou plusieurs auteurs dont le lecteur sent vite la marque (E. Bonabeau, G. Théraulaz, J. Gervet, J. Stewart etF. Varela, J. Erceau et J. Ferber, J.L. Deneubourg...) bien qu'ils aient concerté publiquement leur travail ("Colloque de Rochebrune", 1993). L'argument pivot est aujourd hui presque populaire, mais il était jusqu'ici difficile d'accéder aux documents fondateurs en langue française : si les termites, ou les fourmis ont des "comportements collectifs "intelligents" (savoir construire et gérer une termitière thermiquement stable par ex.) alors qu'ils sont présumés stupides, ne peut-on modéliser et simuler leur comportement : l'éthologiste remplace ici le psychologue cogniticien devant l'informaticien, et l'intelligence collective remplace dès lors l'intelligence artificielle. Et ça marche ! On le savait au demeurant depuis qu'en 1970, John Conway avait conçu et programmé le premier "jeu de la vie".

Il restait à théoriser, à organiser et à mettre en perspective ces intuitions tentantes, ce que vont faire nos auteurs avec une allégresse et un enthousiasme qui séduit le lecteur, le rendant indulgent pour les quelques critiques épistémologiques qu'il note souvent en passant : les concepts de base sont présentés (plutôt que discutés... ah la tautologie cachée du concept de viabilité !) dans un solide premier chapitre, suivi d'un feu d'artifice proposé par les éthologistes (quelle belle histoire que celle de cette discipline que nous ignorons trop souvent) et leurs compères biologistes (trois chapitres), relayés par les informaticiens de l'Intelligence artificielle distribuée (J. Erceau, et J. Ferber) et de la robotique, le tout s'achevant par de solides études de modélisation formalisée (Algorithmes et formalismes : deux chapitres).

On se dit, en achevant ce livre, qu'il faudra sans doute le ré-écrire dans quelques années (surtout le premier et les deux derniers chapitres) lorsque les concepts d'appui se seront mieux assurés épistémologiquement, et lorsque la boucle de l'intelligence collective sesera complexifiée par la prise en compte de la sémiotique et de la pragmatique dans la modélisation du comportement des agents. Mais, aujourd'hui, nous disposons d'un fort bon traité en langue française sur un des domaines les plus stimulants de la rechercheque suscitent les jeunes sciences de la complexité.

J.L. Le Moigne