Inside Versus Outside. Endo- and Exo-Concepts of Observation and Knowledge in Physics, Philosophy and Cognitive Sciences

Note de lecture par MUGUR-SCHACHTER Mioara

Le Pr. M. Mugur-Schachter nous communique le texte d'une note de lecture qu'elle aconsacrée à cet important ouvrage collectif de réflexions épistémologiques reliant lesperspectives de la physique théorique à celles des sciences de la cognition. Elle nouspermet ainsi d'accéder, en langue française à des recherches fondamentales trèsinnovantes (dont elle nous avait donné la primeur dans sa conférence lors de notreRencontre MCX de juin 1994). L'importance de ce volume justifiait un commentaired'une dizaine de pages, dont nous ne pouvons malheureusement reprendre ici que lesquatre premières : suffisamment pour permettre aux lecteurs devenant familiers de"I'approche endo-exo" de souhaiter en savoir plus : nous leur adresserons sur demandele texte complet de la note de lecture de M. Mugur-Schachter; suffisamment aussi,nous l'espérons, pour permettre aux autres de prendre connaissance d'uneproblématique originale qui enrichit notre culture épistémologique collective dans lechamp des sciences de la complexité.

Ce volume contient une collection de 22 essais élaborés à partir de manuscrits deconférences prononcées à l'occasion d'un colloque international sur les "problèmes endo-exo" organisé en avril 1993 par les éditeurs, à Rindberg Castle près de Munich.L'unité provient d'un caractère commun de réflexion et de recherche en dessous et audessus des frontières disciplinaires, concernant spécifiquement les questions liées à laposition présupposée du descripteur face à l'objet de la description : dans l'objet ou hors de l'objet.

Il s'agit d'un livre pionnier. On assiste à des ébauches de questionnements et dedémarches qui participeront à la naissance d'un être de pensée d'un type nouveau : uneépistémologie formalisée qui pourrait devenir une généralisation relative à tous les modes de pensée philosophiques, religieux, pragmatiques-et à toutes lesdisciplines scientifiques modernes, de ce que la métamathématique actuelle est face auxseules mathématiques. Pour l'instant toutefois les abords et les manières d'exprimerrestent assez dispersés, souvent cryptiques, quelquefois même naïfs ou confus. Maisl'ensemble est illuminé par l'introduction, par l'examen auquel Harald Atmanspachersoumet la question de l'émergence d'un objet d'examen, par l'ouverture fondamentaleque Georg Frank introduit dans la question du temps, et par un certain esprit novateurqui se dégage de la démarche de Eva Ruhnau. Ces fragments, dont je rends comptebrièvement en ce qui suit, suffiront pour donner une idée de la nature du mouvement depensée que manifeste ce livre. Le but des quelques commentaires ajoutés est d'indiquer les perspectives.

L'introduction se compose de deux parties séparées, par Atmanspacher et par Dalenoort.

Atmanspacher commence par citer un passage d'un essai sur le Zen du philosophe japonais Izutsu (1975) : "Il paraîtrait que la distinction entre intérieur et extérieur estune sorte de géométrie intrinsèque de l'esprit humain. Comme a remarqué une foisGaston Bachelard "la dialectique du dedans et du dehors appartient à la strate la plusélémentaire et primitive de notre esprit... (elle) a le tranchant de la dialectique du oui et non qui décide de tout. Faute d'une grande attention on en fait une base d'images qui gouvernent toute pensée concernant du positif et négatif...". (Pourtant) (c'est Izutsu qui reprend) regardés avec les yeux d'un homme éclairé, l'intérieur et l'extérieur ne sont pasdeux régions qui doivent être distinguées l'une de l'autre. La distinction est dépourvue de réalité : ce n'est rien de plus qu'un construit de la pensée, spécifique de l'activité discriminatoire de l'esprit... Le problème de l'intérieur et l'extérieur est donc un pseudoproblème, car, en soulevant ce problème nous établissons, de force en quelque sorte, deux domaines indépendants, nous les mettons en opposition, et nous discutons leur srelations, quand en réalité il n'y a pas lieu de faire une telle distinction... le Quelque Chose indivis se divise entre sujet et objet en plein milieu de l'unité originelle cependant que celle-ci reste toujours intacte en dépit de l'apparente bifurcation sujet-objet. Et il en résulte que sujet et objet sont séparé l'un de l'autre et fondus l'un dans l'autre, la séparation et l'amalgame étant un et même acte du Quelque-Chose originellement indivis". Ainsi, d'emblée, est-on introduit au coeur de la complexité du débat. Tous les aspects majeurs du problème ont été effleurés :

  • le caractère de nécessité de la dichotomie dedans-dehors ("une sorte de géométrieintrinsèque de l'esprit");
  • sa source psychologique profonde ("appartient à la strate la plus élémentaire etprimitive de notre esprit");
  • son caractère méthodologique ("ce n'est rien de plus qu'une qu'un construit de lapensée, spécifique de l'activité discriminatoire de l'esprit");
  • la question ontique corrélée ("l'intérieur et l'extérieur ne sont pas deux régions quidoivent être distinguées l'une de l'autre. La distinction est dépourvue de réalité");
  • la perception (chez Bachelard) du danger, difficile à éviter, de confusion des aspectsméthodologiques et ontiques ("Faute d'une grande attention on en fait une base d'imagesqui gouvernent toute pensée concernant du positif et négatif") et- quelle ironie, puisque c'est Izutsu qui cite Bachelard ! - un exemple immédiat d'un glissement vers de telles confusions dans la pensée même de Izutsu ("Le problème de l'intérieur et l'extérieur est donc un pseudo-probléme (non, c'est un problème méthodologique), car, en soulevant ce problème, nous établissons, de force en quelque sorte, deux domaines indépendants, nous les mettons en opposition, et nous discutons leurs relations, quand en réalité il n'y a pas lieu de faire une telle distinction" (et là il s'agit d'une prise deposition ontique));
  • enfin, si l'on va jusqu'au bout, les inévitables adhérences métaphysiques et religieusesde cette ligne de questionnement : le noeud inextricable et fascinant de la question duréalisme et du mystère de la connaissance et de la conscience connaissante.

Atmanspacher replace aussitôt le débat à suivre sur la voie de "la civilisation occidentale". Celle-ci, avec sa philosophie et sa science à elle, doit trouver sa façon spécifique de traiter le problème "endo-exo ". I1 est d'ailleurs, dit-il, très étonnant de constater que cette dichotomie - tout à fait fondamentale dans la science occidentale - n'ait jamais été explicitement étudiée elle-même au cours des derniers quatre siècles de l'âge d'or de cette science.

Dalenoort clôt l'introduction. I1 s'étonne à son tour : "Il est remarquable que la physique n'ait explicitement découvert qu'assez récemment que la distinction entre dedans et dehors est significative pour ses bases méthodologiques, pour l'interprétation de ses théories, et comme un instrument qui permet de clarifier un nombre de problèmes fondamentaux". I1 explique résolument ce fait par 1'origine psychologique de la nécessité de cette distinction et par la relative ignorance mutuelle qui a été maintenue entre la physique et la psychologie. L'effacement actuel de cette ignorance mutuelle est expliqué par les problèmes soulevés par la mécanique quantique. Mais le chemin qui reste à parcourir est long : "(à partir de) un point de vue strictement béhavioriste selon lequel seulement les mesures et descriptions exogènes peuvent être scientifiquement signifiantes, nous nous sommes déplacés vers un monde de modèles mentaux également. I1 n'est pas raisonnable de nier l'existence de la conscience (Descartes !), mais d'autre part les "lois" physiques fondamentales ne contiennent aucune allusion aux propriétés psychiques. Si une intégration de la physique et des sciences cognitives devait s'accomplir à quelque moment futur, cela demandera une forte élaboration des concepts physiques. I1 paraît impossible que l'on puisse simplement "ajouter" la psychologie et la physique".

Suit la première contribution, celle de Atmanspacher, "Objectification Comme une Transition Endo-Exo". C'est un travail averti, profond, mais dépourvu de cette simplicité qui est la marque des découvertes stables.

L'attention est focalisée sur les processus -baptisés d"'objectification"-par lesquels se constitue un objet d'examen. Plus ou moins conventionnellement, l'origine de la question est placée chez Bacon et chez Descartes considérés ensemble comme une sorte d'unité fondatrice que l'histoire a caricaturée en termes radicalement polaires : selon le Bacon des manuels les vraies preuves ne s'obtiennent qu'en commençant par le contact avec la factualité, l'observation et l'expérimentation, bref, par l'attitude d'abord participative au tout indistinct; l'induction, la méthode de fabriquer des hypothèses, modèles et théories, vient après. Selon le Descartes des manuels, au contraire, les vraies preuves ne s'obtiennent que par la raison, notamment la raison mathématique; les modèles et les théories ont un rôle primaire et conduisent par voie déductive à des prévisions concernant des faits observables.

A la coupure cartésienne entre res cogitans et res extensa Atmanspacher adjoint deux autres distinctions qui se combinent, à savoir, la distinction concret-abstrait et celle entre un "niveau" des faits et un "niveau" des modèles. Le niveau des faits est considéré comme concret dans la mesure où il exige un substrat concret d'espace-et-temps (comme dans le cas des corps, de la matière, la chose, l'événement); le niveau des modèles est considéré comme abstrait dans la mesure où il ne requiert ni extension spatiale ni extension temporelle (conscience, esprit, idée, théorie, loi). Ainsi chez Atmanspacher la coupure Cartésienne est conjuguée avec d'autres "coupures". Sur le terrain conceptuel repéré par le complexe de ces coupures [res extensa-res cogitans,concret-abstrait, faits-modèles] sont ensuite tracés les contours de l'opposition entre

  • d'une part "interne" ou "internalité" ou "perspective du dedans", en situation participative, en cours d'action de constitution d'un objet encore non séparé du reste
  • d'autre part "externe" ou "externalité" ou "perspective du dehors" en situation d'investigation d'un objet déjà constitué, déjà séparé du reste.

Il s'agit, dit Atmanspacher, d'autre chose que la coupure Cartésienne. "On peut l'introduire (l'acte de constitution d'un objet d'étude) dans res cogitans ou dans res extensa, sur le niveau des faits ou sur le niveau des modèles".

Pour illustrer, on commence sur fond de res cogitans et sur le niveau des modèles. On constate que "Seule la participation à un processus (de découverte) munit d'une perspective du dedans. Toute description est une description de quelque chose qui doit avoir été externalisé avant... La transition de l'état de participation immergé dans l'imagination, à l'état de description communicable, d'une endoperspective dominée par l'expérience directe, à une exoperspective dominée par la poussée de comprendre intellectuellement les divers aspects d'un modèle déjà existant, correspond au processus d'objectification". Le résultat est dénommé "modèle objectif". Cette "transition d'une participation concrète, à une description abstraite procède au travers de la coupure Cartésienne", dit Atmanspacher. Bref, il s'agirait là d'une objectification qui consiste en une transition de l'imagination (endo) à une description (exomodèle).

On continue l'illustration sur le niveau des faits, avec des objectifications dans res extensa (création de "faits objectifs"). Ici la coupure significative - "dépendante du contexte" - serait celle de Heisenberg et le résultat du processus n'est pas un modèle mais une entité matérielle. Néanmoins le processus d'objectification lui-même ne serait pas en général entièrement contenu dans res extensa, les deux sortes de res seraient en général impliquées. Ceci posé, Atmanspacher attire fortement l'attention sur l'importance extrême de la catégorie particulière des objectifications immergées quasi exclusivement dans res extensa : "un pas de la plus grande importance dans l'évolution de l'attitude de l'homme face à la nature... L'obligatoire coupure requise afin de fendre en parties observables le mode intrinsèquement holistique dans lequel la nature se présente, correspond au précepte Baconien de -dissecare naturam-".

Les relations entre un caractère concret ou abstrait de l'espace et du temps (espace abstrait et temps concret : endo; espace concret et temps abstrait : exo) sont ensuite comparées aux formalisations logiques, par treillis, ou géométriques.

L'essai finit avec des remarques concernant l'accès opérationnel aux propriétés d'un système. Un tel accès exigerait les deux conditions de factualité et d'un caractère exo. Ceci confinerait tout accès opérationnel au domaine des exofaits. Cependant que la prévision, au contraire, serait confinée sur le niveau des exomodèles. Et lorsqu'on essaye de mettre en contact des exofaits avec des exomodèles, se ferait jour ce fait remarquable que "toute activité observationnelle imaginable finalement réfère à des positions spatiales comme propriétés structurales de systèmes" (cette tendance, de plus en plus répandue, de minoriser le rôle du temps physique dans la caractérisation des systèmes, mérite réflexion).

Sur cette base il apparaîtrait que les conditions d'un accès opérationnel ne se réalisent ni pour le temps de res extensa qui nous apparaît bien sur le "niveau des faits" mais en relation inextricable avec des endo-faits temporels, ni pour le temps psychique, qui originellement possède bien un caractère factuel, mais de l'endofait, et lorsqu'on l'externalise en un exomodèle perd le caractère factuel. Ceci serait la source des difficultés qu'opposent les analyses temporelles.

M. Mugur-Schächter