Le Rêve et la Réalité. Heinz von Foerster et le constructivisme

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Le sous­titre dit l'intérêt de ce livre, plus que le titre, sans doute, qui dissimule sa teneur épistémologique. Car l'oeuvre dense et riche d'H. von Foerster, déjà malaisément accessible en anglais, était jusqu'ici pratiquement inaccessible en français ; hormis la traduction d'un article, certes essentiel, offert à J. Piaget en 1976, pour son quatre vingtième anniversaire, je crois que malgré son influence sur la culture systémique francophone, il n'existe en langue française qu'un autre texte de cet étonnant et attachant physicien devenu bio­informaticien et épistémologue : on a déjà oublié qu'E. Morin l'introduisit dans nos cultures en 1972 au colloque "fondateur" qu'il avait organisé sur "l'Unité de l'Homme" (Seuil, Point, 1974) : l'étude d'H. von Focrster s'intitulait "Notes pour une épistémologie des objets vivants" et accompagnait déjà un texte d'H. Maturana sur "les stratégies cognitives". Faut­il rappeler que nous ne disposons de l'essentiel de cette oeuvre en anglais que depuis que F. Varela a pu regrouper en un ouvrage dont le titre dit le coeur du projet von­foersterien, "Observing systems" (Intersystem Pub, 1983) ? Le projet de L. Segal, collaborateur de P. Watzlawick au célèbre centre de psychothérapie systémique de Palo Alto, est de nous présenter de façon aussi alerte et fidèle que possible, l'essentiel de l'oeuvre scientifique et épistémologique de H. von Foerster, en la présentant comme une contribution au constructivisme. (Si bien que ce livre devient le complément naturel de "l'invention de la Réalité ; contributions au constructivisme" édité il y a quelques années par P. Watzlawick, traduit au Seuil en 1988). Je crois que le défi est fort bien relevé, et que les épistémologies constructivistes sortent "confortées" ce cet exposé ; exposé qui bénéficie incidemment de quelques apports fort explicites de E. Von Glasersfeld (quand le traduira­t­on ?) et d'H. Maturana Dans son avant propos, P. Watzlawick dit fort bien l'enjeu de "cette oeuvre savante accessible dans un langage lisible, non technique, en un volume assez peu épais" : "Comprendre que l'observateur, le phénomène observé et le processus d'observation lui­même forment un tout ­ que l'on ne peut decomposer en ses éléments qu'au prix de reifications absurdes ­ a des implications d'une portée considérable pour la connaissance de l'homme et de ses problèmes" (p 14­15). Encore une pièce de base pour la bibliothèque des sciences de la complexité. Et comme elle est aisément accessible (120 FF.) nous ne pourrons plus prétendre que ces recherches sont confidentielles. Perestroïka scientifique aidant, cette réflexion récursive et productrice d'elle­même pénètrera peut­étre nos académies ?