Petit traité d'oeconomie

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Puis-je introduire cette note de lecture par les premières lignes de la brève conclusion du Petit Traité d’Oeconomie que nous propose judicieusement  Pierre Calame.

          «Lorsque, en tous domaines, une chose vraiment neuve commence à poindre autour de nous, nous ne la distinguons pas... Rétrospectivement, les choses nous paraissent surgir toutes faites», écrivait Teilhard de Chardin dans Le Phénomène humain. Il percevait l'évolution comme un processus de complexité croissante. C'est ce qui transparaît ici de page en page. Aujourd'hui, notre stade d'évolution implique de regarder toute réalité comme une partie d'un monde interdépendant, incluant la biosphère, et non de concevoir le monde comme une somme de sociétés humaines organisées au niveau national et subjuguant la biosphère.

          De tels changements de perspective ne naissent pas d'un coup. Ils procèdent d'abord par  corrections et innovations successives, compliquant le panorama, tant est aiguë la conscience d'inadaptation des représentations et modèles anciens aux réalités nouvelles et tant est douloureux le sentiment de se heurter de tous côtés aux murs des anciennes représentations….. »

Puis-je aussi  ajouter quelques lignes  que j’emprunter l’ouverture de la brève annexe (13 pages sous le titre  Esquisses de scénarios pour le grand retour en avant de l’économie à l’œconomie) qu’il ajoute via son Blog (et sur la page d’annonce éditeur)

Je conclus le Petit traité d’œconomie en annonçant que les transitions se passent rarement comme on l’avait imaginé ou prévu, a fortiori lorsqu’elles supposent des disruptions technologiques, intellectuelles ou politiques.  La question pour moi n’est pas de savoir si ce grand retour en avant s’opérera un jour. Comme dans le domaine de la météo, il est souvent plus facile de prévoir des évolutions à long terme que le temps qu’il fera demain. La transition vers l’œconomie aura nécessairement lieu parce que l’économie actuelle conduit à la catastrophe. La seule question vraiment posée est donc de savoir si elle s’opérera suffisamment tôt pour éviter la catastrophe.

Ainsi mis en perspective ce petit traité pourra ne plus apparaitre comme un de ces nouveau traité de science économique que les économistes assermentés hésiteraient à ranger ds leur bibliothèque tant ils sont soucieux de maintenir les spécificités de leur discipline , à ne pas mélanger avec les autres : En légitimant le subreptice passage de Economie à Œconomie, P Calame va ‘repenser en  profondeur sa nature’, et par là remettre implicitement  en question le paradigme épistémologique sur lequel la ’science  économique’ s’appuyait depuis deux siècles, ceci avec prudence en veillant à ‘ne pas jeter aux orties toutes les connaissances acquises en matière d’économie’ Pour cela il va proposer de tenir l’Oeconomie pour ‘la branche de la gouvernance qui s’applique aux domaines particuliers  de la production ,de la circulation  et de la consommation de biens et de services’(p 15)  .

Définition bien restrictive  si on l’entend à la lettre, qu’il va vite reformuler : « Tout ce qui a trait aux comportements réels des acteurs, à la combinaison des facteurs de production, à la. manière dont se confrontent l'offre et la demande de biens, de services et d'argent, aux effets des règles publiques sur les comportements, aux motivations multiples des choix, aux effets de domination de certains acteurs sur d'autres fait partie des connaissances nécessaires à l'œconomie, mais au même titre que la chimie des matériaux, l'hydraulique, ou- l'informatique. Ce sont des connaissances dont on a besoin pour bien « diriger l'action à de certaines fins », mais qui ne comportent pas en elles-mêmes leur propre finalité ». Ceci, en invitant le lecteur à retrouver la définition circonstanciée de la gouvernance et à la présentation de ses principe généraux qu’il donnait en 2003 dans son ouvrage  « La démocratie en miette ; pour une révolution de la gouvernance.

Regrettons ici qu’il n’en dise pas plus aujourd’hui par son scrupule à ne qualifier l’Oeconomie que par une ‘application de la gouvernance  de la production, de la circulation et de la consommation de biens et de services. Plutôt que d’une ‘application’ d’une théorie de la gouvernance qu’il va s’attacher à exposer en proposant ses ‘trois objectifs, ses cinq principes, et ses dispositifs de mise en œuvre, ne s’agit-il pas d’un processus de conception ou d’équilibration permanente, de myriades d’interactions innombrables toutes concernées par  tout ce qui a trait aux comportements réels des acteurs’. Autrement dit par les gouvernances évoluante de myriades systèmes d’actions collective ayant à naviguer entre ordre et désordre ; « Tout ordre ou Tout désordre, et rien ne va[1] » nous dit depuis longtemps la sagesse humaine qui a depuis longtemps formé, entre structure hiérarchique pétrifiée (le ‘Tout Etat’) et anarchie hallucinée (le ‘Tout Marché’[2]), le concept ouvrant d’Organisation’ évoluante’, ‘régénérée et générative[3]   (« L'organisation, la chose organisée, le produit de cette organisation, et l’organisant sont inséparables ».

Ce regret est bien sûr fortement tempéré par l’intérêt des deux « produits de cette application » de la théorie de ‘la gouvernance OEconomique ‘appliquée au système planétaire de la production, de la circulation et de la consommation de biens et de service’ : 1.  L’Economie  actuelle au prisme de la gouvernance  (p 21 à 80) ; 2. L’Oeconomie met en œuvre la théorie de la gouvernance. (p 83-166) 

La première est un diagnostic de l’économie actuelle, judicieusement ouvert à celui fort critique des impacts planétaires des comportements économiques globaux sur les écosystèmes en particuliers, faute d’appréhension collective des arts de la gouvernance : Diagnostic qui suscite un appel argumenté à ‘une transition systemique’ vers ‘les préfigurations de l’Œconomie’.

La seconde présente un ‘produit’ possible et argumenté de ce que pourrait être ’l’Œconomie mise en œuvre, poursuivant les objectif de la gouvernance  et respectant les principes de la gouvernance, base à partir de laquelle peuvent être présentés les principaux dispositifs de l’Œconomie (p 113-171), complété en annexe par quelques Esquisses de scénarios pour le grand retour en avant.

En achevant la lecture de ce Manifeste, on ne pourra pas faire grief à Pierre Calame de ne pas s’être ‘jeté à l’eau’ courageusement en sachant tirer parti de sa riche expérience. Expérience qu’il vit et exprime avec la passion de celui qui a été en situation d’avoir à faire en étant contraint par des normes et à des codes  socio –culturels dont il comprenait qu’ils n’étaient pas ou plus ou de moins en moins adaptées au défi contemporain de l’humanité : Assurer le bien-être de tous dans le respect des limites de la planète’.

A la lettre, folle ambition s’exclament les sages qui arguent des innombrables difficultés quotidiennes qui nous harcèlent sans cesse.  Pourtant nous savons tous qu’il importe  de lever la tête au dessus du guidon si on veut éviter les chutes. Et lorsque nous lisons ces pages de Pierre Calame nous savons qu’il écrit en homme d’expérience qui a pratiqué de nombreuses situations d’actions et de responsabilités très diverses et sans cesse l’invitant à réduire l’essentiel à l’urgent. Accordons lui au moins le droit et le devoir citoyen de témoigner : On peut aussi accepter l’urgence de l’essentiel, Ce qu’il fait en nous invitant à reconnaître la plausibilité d’une autre vision du monde que celle que véhiculent encore faute d’alternatives acceptées, les connaissances encore enseignées par la majorité des experts en sciences économique et financières et mises en œuvres les praticiens des gouvernances dés lors qu‘ils abordent leurs contrôleurs

A ce stade il faudra s’exercer non seulement à la critique épistémologique des connaissances qu’on nous a enseignées et que nous pratiquons sans les réfléchir,  mais aussi à la légitimation épistémologique des connaissances justifiant les statuts de la théorie de la Gouvernance OEconomique que nous propose P Calame. Peut-on tenir toutes les affirmations initiales pour des certitudes acquises ou des hypothèses incontestables ? Peut on en appeler à des critères de cohérence et de cohérence sans spécifier ‘pertinent par rapport  à quoi ? aux yeux de qui ?’ Le critère d’organisation en filières  est-il le seul critère d’intégration verticale  méritant d’être considéré ? Ne doit-on pas tenter d’évoquer les facteurs qu’on a du ignorer car ils ne sont pas quantifiable tel que l’affectivité des rapports humains dans une transaction économique entre acteurs,  la subjectivité de la notion de besoin, l’effectivité des pressions médiatiques…) mais aussi  l’aptitude culturelle à différencier le contraire et le différent,la substitution du concept de potentialité au concept abusivement utilisé de valeur, l’abus involontaire des affirmations du type ‘il faut’, ‘on doit’, ‘on n’a pas le  choix’,   pour convaincre plus vite, alors que l’on n’est pas en mesure de dire ‘pourquoi’ et de répondre à ‘N’y a-t-il pas des solutions alternatives méritant d’être également considérée ?

S’exercer à ce type de questionnements en abordant une situation tenue pour problématique avant de se précipiter sur les méthodes de résolutions de problèmes de décision et plus généralement en gouvernance de systèmes d’actions collectives, cela ne devrait -il pas constituer le B-A –Ba de tout praticien réfléchissant en situation tenu pour apte à développer son esprit critique ?  Qui pourrait lancer la première pierre à P Calame en l’accusant de  ne pas s’y être assez exercé en rédigeant ce petit traité qui relève plus d’un manifeste que d’un manuel scolaire. ? Je confesse voir plus souvent la paille dans l’œil de mon voisin que la poutre dans mon œil.  Et ici je dois par surcroit remercier P Calame qui m’incite en retour à mieux voir par effet miroir dans mes propres écrits et exposés la poutre dans mon œil

  Puis je alors en poursuivant l’échange plutôt qu’en concluant citer quelques lignes de Pierre Calame qui m’avait littéralement  enthousiasmé il y a vingt ans, en lisant son « L'Etat au coeur, Le Mécano de la gouvernance »

 La gouvernance, c'est la capacité des sociétés humaines à se doter de systèmes de représentations, d'institutions, de processus, de corps sociaux, pour se gérer elles-mêmes dans un mouvement volontaire. Cette capacité de conscience (le mouvement volontaire), d'organisation (les institutions, les corps sociaux), de conceptualisation (les systèmes de représentation), d'adaptation à de nouvelles situations est une caractéristique des sociétés humaines. C'est un des traits qui les distinguent des autres sociétés d'être vivants, animales ou végétales ..." …. La gouvernance est d'abord construction de "lieux collectifs d'élucidation des enjeux. Ses lecteurs pourront peut-être l’inciter à  mettre en première ligne des futurs traités de Gouvernance OEconomique un rappel de cette étrange et émerveillante capacité humaine.


[1] P Valery, Cahiers 1920

[2] H A Simon,  "Organizations and Markets", 1991, JEP

[3] E Morin,  la Méthode, 1977, p, 289-363