Mémoires singulières, mémoires plurielles

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Le lecteur m’autorisera à ouvrir cette Note de Lecture par le texte de présentation de cet ouvrage collectif proposé par l’éditeur : Le richesse et la diversité des huit contributions (qu’il faut lire en les liant aux contributions d’Edgar Morin et de Patrick Curmi (‘La mémoire de la vie’ ,2017) présentées dans le même Colloque transdisciplinaire d’Evry,(2015) sont telles qu’elle dépasse le registre d’un commentaire synthétique qui lui même appellerait de nouvelles nuances à introduire dans le  ‘tissage des connaissances se formant par le tissage de ces multiples liens.  Tissus que MW Debono invite à déployer sous le label du Concept de Plasticité qu’il s’attache à éclairer dans son apparente co évolution contemporaine avec les giga data bases prônés par le ‘dataïsme’ désormais en en formation nous annonce-t-on. « Sans mémoire, la vie n'aurait aucun sens. C'est ce que veut montrer ce livre en interrogeant tour à tour l'intelligibilité de l'univers, la plasticité du cerveau, la géométrie des formes et la singularité du vivant. En corollaire, la mémoire évolutive sous-jacente à la naissance de la pensée symbolique, les arts de la mémoire, la littérature proustienne, les souvenances divines, et enfin la mémoire augmentée et ses conséquences sur notre appréhension du monde. Cette nouvelle donne constitue le point d'achoppement des interrogations portées par les auteurs dans un esprit transdisciplinaire : il s'agit avant tout de défricher les mémoires et de ne pas opposer dataïsme et plasticisme pour donner à voir, si tant est qu'elle éclose, une mémoire « post humaine » digne de ce nom ». ·        Plasticité de la matière, plasticité de la vie, plasticité de l’esprit, plasticité de la mémoire … : La propagation du ’paradigme de la plasticité’ (il faudrait dire ‘du concept de plasticité) s’attachant initialement à développer notre intelligence des transformations des ‘formes’ de la matière puis des ‘formes’ de la vie. Ne serait-ce pas plutôt par la plasticité de leurs ‘fonctions, ’ surtout dés lors que l’on s’attache à intelligence des fonctions de l’esprit et, par elle, aux fonctions de la mémoire de la vie. N’est ce pas  elle qui «par ses capacités, ses défaillances et ses tendances extrêmes va désigner ce qui nous porte  et nous cimente » conviendra  d’emblée MW Debono dés l’ouverture du premier chapitre. Mais peut-on parler de ‘la plasticité des fonctions’ par analogie avec ce que l’on entend par ‘la plasticité des structures’. Développer le concept de plasticité de la mémoire ne serait-ce pas plutôt introduire le concept de plasticité des processus de mémorisation ? ·        MW en convient en introduisant le ‘Complexe de Plasticité : « Comment mémoires du corps et de l'esprit, souvenirs, émotions et oublis s'enchevêtrent, se synchronisent, se désaturent, se dégradent parfois pour former les êtres sensibles et uniques que nous sommes ? Comment peut-on les interpréter au travers d'une conscience, d'un inconscient pluriels et orientés vers le devenir ? Um des réponses possibles, à la lumière de la symbolique jungienne, est la convergence entre notre complexe de plasticité défini comme l’interface privilégiée entre matière et psyché et les archétypes on le processus ». Malheureusement (à mon gré) il ne développe pas ici ’car ce n’est pas le sujet de ce livre’ (p 29) en donnant les références d’autres travaux dans lesquels il l’argumente. ·        Une des raisons pour lesquels il assume ce renoncement circonstanciel tient peut-être à la différence des registres épistémologiques dans lesquels sont écrites les 8 contributions toutes de belle factures qu’il a rassemblé (cosmologie, mathématique, paléoanthropologie, littérature, Cinéma, …), tient sans doute à ce qu’il fallait retenir « des langages communs pour exprimer ce qu’est la mémoire ». Langage commun, qui devient une référence épistémologique familière aujourd’hui encore aux institutions académiques :          « Si à l’évidence, les mémoires spatiales et temporelles n’ont  aucune commune mesure à l’échelle du cerveau et du cosmos, elles sont toutes deux assujetties aux lois universelles et traversent la mémoire de la vie. …. Espace mémoriel qui nous habite et détermine nos choix … Espace controversé aujourd’hui entre nature et culture, entre humanité et transhumanité, … » (p 15). Loi universelle …. Détermination de nos choix … les mots ici ont une sonorité un peut trop véhémente  si on les approches des millénaires réflexions sur ‘les fonctions de l’espritde l’homme : .Citons par contraste le mot de Valéry « Les conditions de son existence et de sa reproduction sont très étroites ; mais il lui a été donné de ne pas se borner à subir. Il est capable de modifier – de créer ce dont il a besoin. C’est en quoi il a été condamné au travail. Son adaptation défensive se complète par une adaptation offensive. Cela va jusqu’à la création de besoins mêmes. ». ·        Ce qui incite à associer à l’exploration de la plasticité des formes de la matière  celle de la capacité des processus (ou des fonctions), voire souvent à privilégier l’intelligence des processus sur celle des organes : Le physiologiste souvent s’avère plus bienvenu que l’anatomiste ; et ici, la dialogique des processus de mémorisation singulière en interaction avec celle des processus de mémorisation plurielle. Ce qui bien sur n’interdit nullement l’investigation de la forme en plastification les travaux des neurophysiologies en témoignent.   ·        N’est ce pas pour attirer moins subrepticement l’attention sur cette dialogique tension multi millénaire de toute intellection entre le processus (Héraclite), et l’objet structuré (Platon) de « l’auto-phéno-plasticité » de la mémorisation, producteur et produit d’elle-même, que MW Debono a fait appel à la contribution d’Isabelle  Serca, une spécialiste de Proust qui nous introduit judicieusement à une méditation sur ‘La Mémoire dans la Recherche’ chap. 6, p 147 ?  Celle ci a la très heureuse idée de présenter le célèbre souvenir de ‘la madeleine trempée dans le thé de la tante Léonie à Combray le dimanche matin’ en insérant les quatre lignes narrant les traces de cette résurgence d’un souvenir perdu dans leur contexte , : ici une longue page narrant le cheminement intérieur ; ’Arrivera-t-il jusqu’à la claire conscience de ce souvenir ? Surgira alors la conscience de la complexe plasticité de la mémoire humaine : ‘ce n’est pas une « mémoire »  au sens informatique du terme’ (p 150). Parlons alors de mémorisation et ne la contraignons pas d’avance à quelque loi universelle déterminant nos choix, en  retrouvant l’art de la mémoire de F Yates. Nous l’entendrons aussi dans les  singularités individuelles et dans ses pluralités historiques et médiatiques ·        Je devrais à ce stade souligner l’intérêt et la valeur exemplaire de cette entreprise de conjonction transdisciplinaire. Ce n’est pas parce qu’on en demande ‘toujours plus’ qu’il faut délaisser tout ce qu’on vient déjà de nous proposer. Je regrette ne pas avoir pu ici les mettre assez en valeur, alors qu’ils revigorent une réflexion  collective qui fermente dans nos cultures depuis plus d’un demi siècle. Réflexion qui a revivifié les traces d’une exploration  des processus collectifs de mémorisation activée dans les années 1ç77-1980 entre une vingtaine de chercheurs très divers  et dont une Librairie Universitaire avait permis de garder la trace (ISBN 2 903 449 023). Je me permets  la de joindre cette en annexe à cette note de lecture la présentation de présentation de ce modeste ouvrage : par sa valeur de symbole, il devient constitutif des processus de mémorisation collective et je crois pluriel.