LES MATHEMATIQUES ET LE RAISONNEMENT "PLAUSIBLE"

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Signe des temps ? : On voudrait tant l’espérer. Un éditeur courageux ré édite ce livre exemplaire, restaurant le statut scientifique des ‘raisonnements plausibles’ (et par là de ‘la Logique du Plausiblei’  ou de ‘la Logique Naturelleii’) cinquante ans après sa traduction française (due à R Vallée) laquelle avait pourtant été publiée quatre ans à peine après la parution de ‘Mathematics and Plausible Reasoning’ (en 2 volumes). Ce même éditeur avait aussi eu l’audace de republier en 1994 la belle traduction de ‘How to solve it’ (publié initialement en 1945) qui fit la légitime réputation quasi planétaire de cet attachant mathématicien qu’était G Polya1887-1985) ; Planétaire ? Sauf en France semble - t’il, malgré la qualité de la première traduction  (due à C Ménage, 1957) sous un titre très pertinent : ‘Comment poser et résoudre un problème : mathématiques, physique, jeux, philosophie’, bien qu’il ai perdu les sous titres que G Polya avait initialement donné à son Livre Manifeste (auquel on doit le concept moderne d’Heuristique qui as si longtemps manqué à la culture des enseignants en mathématiques) : ‘A new aspect of mathematical method’’.

Cet ‘aspect nouveau’ ‘de la méthode tenait principalement à l’aspect que mettait en valeur le titre de la traduction française : ‘How to solve it’ doit bien se traduire par ‘Comment poser les problèmes’. Le ‘problem solving’  et ne doit être réduit à de banales recettes de ‘résolutions ‘en général algorithmiques qu’il importe d’apprendre par cœur pour les appliquer ‘puisqu’elles sont trop délicate sou trop longues à expliquer et à démonter sans ambigüité’. En mathématique comme ailleurs, la modélisation détrivialisante est au cœur de toute forme de raisonnement, dés qu’ils concernent ‘les affaires humaines’. En sous titrant les deux parties de son livre (en anglais les deux tomes de Mathematics and Plausible Reasoning : Volume I: Induction and Analogy in Mathematics, and Mathematics and Plausible Reasoning ;Volume II: Patterns of Plausible Reasoning, G Polya éclairait fort bien cet argument : On le retrouvera sous la plume de l’épistémologue N Hanson qui intitulait peu après « Patterns of Discoveryiii son principal ouvrage (1958, traduit en français en 2001). On peut rappeler ici qu’A Newell a été élève de G Polya avant de développer, avec H Simon, à partir de 1952, le concept de ‘Heuristics Programming’ ; Concept qui permettra à partir de 1956 le développement créatif de l’Intelligence Artificielle révélant sa capacité à aborder ‘les ill-structured problems’. Autrement dit la modélisation des systèmes perçus complexes !

Bien que ces deux ouvrages de G Polya ‘soient conçus de façon à pouvoir être lu indépendamment l’un de l’autre’, il fallait ‘mettre en évidence de façon explicite les liens entre eux’’ : Il insiste expressément sur ce lien dans sa préface. À juste titre me semble t il, dans la mesure où la teneur de ‘Comment traiter et résoudre les problèmes’ est plus épistémique, alors que celle du ‘Raisonnement plausible ‘ est plus méthodologique : ‘Je ne sais écrit-il(p. xiii) si ces chapitres appartiennent à la philosophie . Si philosophie il y a, il s’agit certainement d’une espèce particulièrement peu académique de la philosophie, plus soucieuse de permettre de comprendre des exemples concrets que d’exposer des généralités’.

C’est ce qui fait le grand mérite de ce livre : il propose de multiples exemples de raisonnement aisément intelligibles : Il ajoute avec humour ‘Le lecteur dont les connaissances (en mathématiques ou physique)sont assez complètes perdra sans doute plus à sauter les parties qui lui semblent trop élémentaires  que ne le fera un lecteur dont les connaissances sont plus rudimentaires en sautant les pages qui lui sembleront trop complexes’ (p.xvi).

Il faut souligner surtout je crois soin avec lequel il s’attache à évaluer pas à pas la ‘plausibilité’ (et les ‘plausibilités composées’ souvent sous-jacentes) d’un raisonnement, quelques soit le domaine d’exercice (du Droit à la Physique par la Linguistique et bien sûr les Mathématiques), en la repérant par rapport aux critères familiers d’universalité, de vraisemblance et surtout de probabilité.(chap. xix et xv) : On est tenté ici de relier cette conception de la ‘plausibilité’ à celle de la ‘probabilité factuelle’ que M Mugur Schächter a dégagée en développant la MCR, (Méthode de Conceptualisation Relativiséeiv en la différenciant de celle de ‘probabilité formelle’ (ou ‘syntaxique’, voire ‘classique’)

C’est surtout l’attention que  G Polya porte à ses efforts visant à ‘éclairer le jugement du lecteur’ plutôt qu’à le convaincre à coup de formules catégoriques sans appel qui rend je crois son livre particulièrement attachant, ceci d’autant plus qu’il est sans cesse illustré par des exemples faciles à examiner. A ce titre il intéresse tous les citoyens et pas seulement les spécialistes de didactiques des mathématiques !

Ses lecteurs apprécieront sa sagesse ds ‘la note finale aux lecteurs français ‘ (p.273) qu’il emprunte à ‘la Logique de Port Royal’ chap. IX) :’le premier défaut est d’avoir plus de soin à convaincre l’esprit qu’à de l’éclairer’.

JL Le Moigne


[i] J-Cl. GARDIN et al, ‘La Logique du possible, Essais d’épistémologie pratique en sciences humaines’,Ed. .MSH Paris, 1981-1987.

[ii] J-B GRIZE et al , "Essai de logique naturelle", 1983, Ed. P. Lang, Berne). ; Et’ Logique naturelle et communication 1996, Ed. PUF. Voir la note de lecture  http://www.mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=147  

[iii] Traduit en français en 2001 par N Emboussy: ‘Modèles de la découverte, (Patterns of Discovery), une enquête sur les fondements conceptuels de la science ‘,  Editions Dianoïa .Voir la note de lecture :  http://www.mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=617

[iv] Voir, outre son chapitre dans  Cerisy ‘Intelligence de la Complexité’ (p.85-130), son livre : ‘Sur le tissage des connaissances’, 2006 : Note de lecture à http://www.mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=678