L'unité d'un homme 2018

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Initiative fort bienvenue que celle proposée par l’historien Pascal ORY, animateur en  particulier du Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés contemporaines, nous invitant à être attentif à l’aventure de l’œuvre à la fois scientifique et culturelle d’Edgar Morin se formant et s’affirmant, de 1951 (première édition de ‘L’homme et la mort’) à 1972  (‘L’Unité de l’Homme’ et ‘Le Paradigme perdu’ qui annoncent la ‘soudure épistémologique’ que va se déployer dans l’étonnante ‘Aventure de La Méthode’’ de 1975 à 1995).             Cette première aventure, celle par laquelle se manifestera en 20 ans ‘L’Unité d’un homme’, ‘scientifique aux mains calleuse’, va rendre possible son redéploiement s’ordonnant de 1995 à 2015 au fil de l’écriture des sept Tomes de ‘La Méthode’. Tenu symboliquement pour un ‘Paradigme perdu’ il y a 50 ans, le paradigme de référence de la culture des sociétés  réapparait, régénéré en  ressoudant enfin ‘Les Deux Cultures’, celle de la science et celle des humanités (CP Snow, 1958) nous devient aujourd’hui sinon familier au moins potentiellement recevable et de plus en plus bienvenu, rendant possible et même plausible ‘Le tissage des connaissances’. Edgar Morin le qualifie volontiers en le désignant ‘paradigme de l’épistémologie complexe’ retrouvant le sens du mot ‘Complexité ‘: « ce qui est tissé ensemble », inséparable et distinguable, à la fois.               Surprendrai-je en assurant que la genèse de cette phase 1959 -1972 de l’œuvre en prise ‘sur le terrain’ (Le cinéma, Plozevet, Orléans, la Californie) éclaire et enrichit les méditations multiples qui susciteront les phases ultérieures que l’on peut qualifier d’ épistémologique (en donnant à ce concept son sens plénier d’étude de la nature et de la formation de ‘La Connaissance humaine’. Phase qui, scandée par le déploiement des sept tomes de ‘la Méthode’  nous devient peu à peu familière  même si les académies tardent encore à en convenir préférant souvent découper l’Epistémologie en autant de tranches que de disciplines assermentées, réduisant chaque ’épistémologie à sa méthodologie disciplinaire propre. En quarante ans les appels à l’inter et à la trans-disciplinarité ont tant pénétrés les tissus culturels des sociétés contemporaines que l’appel à une régénération du paradigme épistémologique de référence de nos connaissances devient patent. On ne peut plus, comme le proposait Descartes tenir pour ‘définitivement certain’ – et par là tenus pour ‘scientifiquement vrai et moralement bon– des énoncés de connaissances justifié par des croyances non argumentable.             C’est à ce stade que les 200 premières pages de ‘L’Unité d’un Homme’ prennent toute leur importance pour illuminer l’ensemble de l’œuvre :   Son titre est presque laconique ‘Auto Critique’ : L’ouvrage (qui parait d’abord en 1959) est nourrit d’une expérience personnelle presque charnelle autant que réflexive, expérience qui va nourrir vingt ans après le recueil qui accompagnera l’aventure de La Méthode, ‘Science avec Conscience’(1981). Assumer la responsabilité de sa pensée connaissante et par là s’attacher à sa propre capacité de discussion critique imprégnée par sa propre expérience de sujet en situation, n’est-ce pas dans ces termes que se caractérise la dignité d’une activité scientifique et enseignante s’acceptant potentiellement transdisciplinaire ? (Un viatique de Léonard de Vinci, riche lui aussi d’une exceptionnelle expérience  transdisciplinaire - « Sapience (Science avec Conscience) est fille de l’expérience » - nous le rappelait déjà). Nos expériences ne nous incitent-elles pas à reconsidérer à la fois les pourquois et les comments de nos actes et à nous efforcer à nous attacher à les comprendre plutôt que nous résigner à nos addictions aux certitudes absolues, dés lors que celle-ci nous conduisent à des actes que nous tenons pour absurde ? L’aspiration à comprendre,  et par là à nous approprier des connaissances nous permettant d‘exprimer la compréhension de nos expériences devient pour chacun une signe de sa dignité humain par sa capacité à se responsabiliser au moins en s’exerçant à l’auto critique de nos actes et des connaissances qui nous par lesquels nous les argumentons L’exercice de l’auto critique de ces connaissances devient alors une démarche responsabilisante  que nos institution de recherche et d’éducations tentent de nous épargner en développant des connaissances qui doivent être tenues pour ’hors de doute’ et par là pour vraie (même si elle résulte explicitement de croyances : « Connaissances très vraies et trés certaines à cause que la raison nous y a fait déterminer » soulignait Descartes dans le « Discours de la méthode pour chercher la vérité dans les sciences » Discours qui déresponsabilise quiconque assure se référer exhaustivement aux quatre préceptes fondés sur une croyance elle-même fondée sur une construction théorique s’auto justifiant  récursivement. « Nous voilà au rouet : Aucune raison ne s'établira sans une autre raison : nous voilà à reculons jusques à l'infini » concluait le sage Montaigne Ne pouvons-nous pourtant échapper à nos addictions aux certitudes absolues ? L’auto critique ne peut-elle s’exercer dés lors que nous assumons consciemment le risque des évaluations qui nous permettent des ‘plausibilité relatives’, s’attachant à l’argumentation par rapport aux fins que nous nous proposons, plutôt qu’aux causes présumées que nous ne  pouvons tenit en ‘certitude absolue’.             N’est ce pas en questionnant ‘Science avec Conscience’ qu’E. Morin va s’inviter et nous inviter à interroger nos dictionnaires : savons-nous « Connaitre la Connaissance ». ?  L’important sera de ne pas nous résigner et de vouloir maintenir à maintenir actif ce questionnement en nous aidant du viatique de Pascal qu’il aime rappeler ; Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de L’auto-éco éthique[1] Le ‘bien’ ici ne qualifie pas le resultat (un substantif, passif, une Pensée formulée, « The Thought ») mais le processus en œuvre dans l’activité  reflexive de l‘exercice qu’exprime le verbe Penser, ( Thinking »). L’éthique tenue pour la refrence de l’action, n’est plus tenue pour exogène,  indépendante de l’activité du sujet qui s’y réfère, mais pour auto-éco endogène, se formant dans l’action en étant conscient des effets générés pas les interactions du Sujet avec ses contextes.  Ouvert sur l’appel à’ L’Auto Critique’ en exercice ‘ (p 3 – p 337), le livre se déploie par ‘Le Journal de Californie’, 1969-1970’( p 891-p1073 , aventure en découverte au cours de laquelle se formeront - par la recherche de l’Unité de l’Homme, ‘le Paradigme Perdu’ (1972),  et la maturation des sept Tomes de ‘La Méthode’ par la publication du Collectif, ‘L’Unité de l’Homme’(1974).             Entre ces deux pôles (1959-1970, l’auto critique et l’eco critique, l’œuvre proprement scientifique de ce chercheur en sociologie qu’est aussi E MORIN va se développer en trois moments devenus trois ouvrages (régulièrement ré édités depuis) qui furent tenus initialement pour non conformiste par bien des scientifiques institutionnels (disciplinés) peu habitués à rencontrer un ‘indiscipliné’ cadré dans sa section disciplinaire, la sociologie, nonobstant  capable de s’auto critiquer et d’explorer des champs qu’ils tenaient hors de leur discipline.   Ne devait –il pas être retenu pour un ‘In-discipliné’, (attribut qu’Edgar Morin ne récuse pas catégoriquement et que retient Pascal ORY pour intituler son texte d’ouverture :’Le Grand Indiscipliné’). Je me borne ici à rappeler les titres de ces trois  ouvrages : Les Stars, 1957 (pp,211-337), La Métamorphose de Plozevet, 1967 (pp 345 – 683)‘, La Rumeur d'Orléans, 1969 (pp 687-881)             On voudrait bien sûr en reprenant ce livre fait de livres liés par ‘L Unité d’un Homme’  ajouter d’autres titres  même en se restreignant à la période 1959 1971. On comprend aisément les contraintes des éditeurs  qui ont réussi à réaliser un ‘Bouquin’ de plus de 1000 pages et pourtant aisé à lire et bien documenté J’ose pourtant suggérer au lecteur de trouver quelques autres occasions pour lire aussi ‘l’Esprit du temps’ (1962) et ‘le Vif du sujet’ (1969) qui ‘humanise’ les complicités invisibles liant l’auteur et ses lecteurs. Et si ces lecteurs se veulent aussi attentif à la formation de la critique épistémologique interne dans et par l’œuvre explicitement scientifique (au sens quasi institutionnel  du terme) d’Edgar Morin, je suggère volontiers le recueil ‘Sociologie’ (460 pages, 12 gros chapitres) qui publié en 1984 est composé pour une très large part d’articles publiés entre 1952 et 1969. Travaux qui ne permettront plus de séparer dans nos cultures l’anthropologie et la sociologie,  contribuant ainsi à la reconnaissance de l’Unité de l’Homme au coeur de nos cultures civilisationnelle. Edgar Morin allait pouvoir alors inviter à élargit notre intelligence de ‘l’Unité de l’homme’ dans sa plénitude, irréductible à une seule discipline académique  en assumant l’irréductible dialogique de la diversité et l’unité de l’Humaine,.  Connaissance de l’homme qui sans cesse se transforme dés lors que nous veillons à ajouter « une voie de retour au sens unique Epistémologie-Science »’, soulignera E Morin dans  ‘La Connaissance de la connaissance’ (La Méthode, T III, 1986) connaissance entendue dans sa complexité de nos connaissances de l’homme s’entendant dans sa complexité.             C’est à ces méditations que nous entraine l’itinérance au fil de ces 10 années de travaux du ‘scientifique aux mains calleuse’ qui, chemin faisant, creusait ses sillons en veillant alentour et régénérait ainsi les terreaux dans lequel allait s’épanouir la problématique de l'épistémologie complexe par le paradigme de la pensée complexe qui est aussi celui de la raison ouvrante.

[1] Le texte de Pascal dit ‘la morale’, concept qui ici exprime mal, quatre siècles plus tard, les exigences de ‘la morale  propres à chaque sujet’. La pensée est en l’homme ce qui lui permet de répondre à sa fin propre. À défaut de pouvoir  tout penser’ l’homme peut  bien penser: quelles que soient ses faiblesses, et quelle que soit son incapacité de tout savoir.