L'Aube des savoirs et des dieux. Essai de neuro-anthropologie

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

On peut craindre qu'en choisissant un titre énigmatique (L'aube des savoirs...) et un sous-titre bien ambitieux (essai de neuro-anthropologie), M. de Ceccaty perde bien des lecteurs que sa chatoyante fresque de l'émergence du "phénomène humain", capable non seulement de savoir, mais aussi de se savoir sachant, aurait souvent vivement intéressé. Je confesse que si je n'avais eu l'occasion de lire avec intérêt ses ouvrages précédents, je n'aurais sans doute pas ouvert cet essai original et qui mérite manifestement une attention critique. "Comment l'esprit vint à Lucy... et comment nous l'a-t-elle transmis ? Une hypothèse plausible... que l'on argumente et que l'on illustre en cheminant dans toutes les disciplines, de la neurobiologie positiviste à l'anthropologie critique par les sciences de la cognition constructiviste" : ce titre est bien long, j'en conviens, mais il évoque plus fidèlement je crois, la thèse de cet essai. Un essai que l'on pourra placer dans sa bibliothèque entre les textes de Teilhard de Chardin, de Bergson ou de T. Dobzansky, en regrettant un peu de devoir le ranger derrière "Le paradigme perdu : la nature humaine" qu'Edgar Morin publiait en 1973, avant l'irruption dans nos cultures des sciences de la cognition (son mérite, par contraste m'en apparaît plus grand encore).

Il est si rare, et si important, de rencontrer un biologiste (et a fortiori un neurobiologiste) qui fasse de l'interdisciplinarité vertu et non plus péché, qu'on ne peut que clamer son plaisir lorsqu'on en rencontre un. Surtout lorsque, c'est le cas ici, il est de riche et solide culture scientifique et qu'il fait "de la communication, du processus et de la métaphore" ses concepts privilégiés pour élaborer quelques vastes fresques dont notre célèbre ancêtre Lucy sera le personnage principal. La thèse, ou plutôt l'hypothèse, séduit peut-être plus le lecteur par son mode d'élaboration que par son résultat : les interdits des méthodes disciplinaires n'inhibent pas M. de Ceccaty et l'usage et l'interprétation de la métonymie ou de la métaphore lui permettent d'élaborer de nouveaux regards dont on conviendra souvent qu'ils sont au moins plausibles. Et en cherchant ce qu'il n'a pas déjà trouvé, il a quelque chance de le rencontrer.

Certes, au fil de la plume (souvent heureuse au demeurant, tour à tour ironique ou poétique), il irritera tel ou tel de ses lecteurs. Pour s'assurer lui-même de ses propres audaces, il ponctuera souvent ses paragraphes par quelques "donc" ou par quelques déclarations "d'évidence" qui n'emportent pas la conviction. Et les inattentions apparentes aux difficultés épistémologiques cachées dans son propos (p. 61 par exemple) relèvent peut-être d'un sursaut inattendu de prudence académique ? Je confesse que la thèse finale sur "l'aiguillon du sacré et de la religiosité" dans l'histoire de l'humanité ne me convainc pas ; mais je crois que l'important est ailleurs : cette liberté cognitive que s'accorde le chercheur pour élaborer des rapprochements plausibles entre les connaissances que nous livrent anthropologie et paléontologie, neurologie et psychanalyse, sociologie et intelligence artificielle, cybernétique et sciences de la cognition ou de la communication, s'avère stimulante, féconde, génératrice d'idées nouvelles. De nouvelles façons de développer la recherche scientifique peut-être ? Les sciences de la complexité trouveront dans cet essai non pas une preuve, mais une incitation... à construire leur chemin en marchant !...

J.L. Le Moigne.