Génie Industriel : les enjeux économiques

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

La constitution en 1990 de l'Ecole Nationale Supérieure de Génie Industriel (au sein de l'Institut National Polytechnique de Grenoble) symbolisait à la fois un dramatique constat d'échec et le fragile espoir d'un renouveau civique et culturel.

  • Constat d'échec puisque 175 ans après que le système d'enseignement supérieur français eut reconnu l'émergence d'une nouvelle science, qu'on appelait alors "la science industrielle" (avec la constitution des Ecoles Centrales, par exemple) il fallait convenir qu'on avait totalement échoué dans le développement et l'enseignement de cette si prometteuse discipline : en la rebaptisant Génie Industriel (ou science du génie industriel), après son détour par l'Amérique du Nord, on allait devoir et pouvoir "repartir à zéro". Renonçant à demander aux grandes écoles d'honorer enfin leur contrat, la Société se résignait à ré-investir une nouvelle école !

  • Mais ce constat d'échec symbolique était aussi lueur d'espoir, puisqu'enfin on se décidait à concevoir un projet de connaissances enseignables qui fondent les exercices complexes d'une action collective délibérée et permanente : les sciences du génie industriel. Espoir bien fragile puisque rares étaient ceux qui se souciaient d'aider les premiers enseignants qu'on invitait à développer de si nouveaux enseignements (ou de si anciens : mais qui connaît aujourd'hui les textes de Babbage, de Lavallée ou de Christian écrits vers 1820-1830 !) ? Espoir un peu moins fragile quatre ans après puisque quelques-uns d'entre eux, parviennent à nous proposer un tout premier manuel de génie industriel. Dossier bien incomplet sans doute, le titre de l'ouvrage présenté et dirigé par M. Hollard le dit loyalement : "Enjeux économiques"... Mais l'éclairage de l'économie n'a-t-il pas le mérite de rendre plus visibles les zones d'ombre , celles que précisément il n'éclaire pas ?

En pratique, les quelques dix études que l'on va lire ici pour s'introduire aux sciences du génie industriel seront trés imprégnées par la culture des économistes qui se sont attachés à ce projet : "L'économie industrielle" a permis depuis une vingtaine d'années, de renouveler sensiblement les problématiques de l'économie néo-classique, et elle a su, en s'aidant notamment des contributions exceptionnelles de quelques grands économistes "non-conformistes" tels que J. Schumpeter ou H.A. Simon, développer une attention empirique à la complexité des organisations de production ; attention dont le génie industriel sait dès aujourd'hui tirer parti, en abordant ces nouvelles formes d'activité industrielle que sont la productique, la bureautique ou la logistique.

Entreprise difficile au demeurant, puisque les économistes risquent de se plaindre qu'on chasse sur leur plate-bande sans autorisation assermentée, et que les techniciens risquent de protester parce qu'ils ne sont pas au centre du dispositif. Dans le même temps, les psychosociologues goguenards feront observer que "l'effet petit-chef" n'a jamais été aussi intense du fait apparent du développement de la productique mais ils conviendront que depuis la "théorie des relations humaines" d'Elton Mayo, ils n'ont pas proposé d'antidotes efficaces contre cet effet pervers : ce doit être "de la faute des autres" !...

Entreprise qui ne parvient pas encore à susciter son propre ressourcement épistémologique, et son aptitude à se dégager du moule disciplinaire contraignant dans lesquels chacun se croit tenu de se définir. Mais qui osera jeter la première pierre à ceux qui essayent, avec modestie et ténacité, de construire cette dynamique modélisatrice de l'organisation complexe contemporaine. Par son seul projet mais aussi par la culture et les motivations de ses auteurs, ce traité de Génie Industriel (qui annonce une collection), ouvre aujourd'hui un nouveau et important rayon dans la bibliothèque des sciences de la complexité.

J.L. Le Moigne