Fraternité

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Ouvrir « LA FRATERNITÉ, POURQUOI ? », c’est aviver le souvenir de lectures anciennes : Celles dont le sillage s’était enfoncé mais n’était pas encore trop profond. Dès les premières pages, la méditation du ‘Témoin Edgar Morin’ sur l’inséparabilité du devoir de fraternité  et du devoir d’humanité au cœur de l’aspiration au ‘Vivre Ensemble’ sur notre Planète est prégnante : Sans qu’il les nomme, on pressent vite qu’il va  falloir rouvrir 25 ans après, ’Les Fratricides, Yougoslavie-Bosnie, 1991-1995’ et  ‘Pour une Politique de Civilisation’ (1997-2002).  Les liens alors s’enchevêtrent : C’est dans la nuit des Fratricides qu’il sera beau de vouloir croire à la lumière  de la Fraternité  : le voile noir tardait à se lever mais on pouvait ‘tenter de résister à la cruauté du Monde’ et oser se découvrir, quitte à n’apparaitre d’abord qu’en argumentant les tensions dialogiques de l’Individualisme et de la Solidarité, du JE égoïste et du NOUS altruiste.

Sans pourtant alors la nommer (souvenir des moqueries condescendantes des ‘Notables-blasés-fiers-de-l'être’ lorsqu’une  personnalité politique en appelait prudemment à la Fraternité dans son programme). Aussi, intrigué par le sobre sous-titre  ‘Pourquoi ?’, je compris que la question n’appelait pas une ‘Explication (‘Pourquoi ? : A cause de …’), mais un ‘Projet’ ou une Intention (‘Pourquoi ? : A fin de …’ ).

La réponse qui  se révèle alors explicitement en retrouvant les pages de Pour une Politique de Civilisation, que l’on peut lire aussi comme une sorte d’appel à l’attention des grandes fonctions s’articulant dans et par les interactions au sein des  systèmes d’action collective :  Les  trois Fonctions matricielles, politiques, qu’expriment les verbes

             ‘SOLIDARISER <=> CONVIVIALISER <=> RESPONSABILISER’.

Par leurs interactions et par leur évoluante Auto-Eco-Ré-Organisation s’articulant mutuellement, se  forment alors les processus d’une Politique devenant Civilisante : Complexe d’actions se légitimant par les Intentions que forment les substantifs .Ici ceux de la Devise Républicaine

‘LIBERTE <=> FRATERNITE <=> EGALITE’

La Démocratie et sa Devise n’est sans doute pas dans la Nature des choses mais dans l’Esprit des hommes,  rappelait déjà H. Bergson (‘Les Deux Sources …’, 1932, p 304--5). Elle s’est formée « comme un idéal ou plutôt comme une direction où acheminer l’humanité. … Or il arrive que l’intention avec laquelle une idée a été lancée y reste invisiblement adhérente, comme la flèche à sa direction. … La Fraternité réconcilie ces deux sœurs ennemies, la Liberté et l’Egalite, en leur rappelant qu’elles sont sœurs, en mettant au-dessus de toute la Fraternité ».

La Fraternité attachée à la flèche qui la porte autant qu’à sa direction ? L’image de H Bergson – 1932,  ravive aujourd’hui la lecture de la dernière page de ‘La Fraternité, Pourquoi ?’ Je n’en reprends  qu’un bref alinéa, espérant donner envie au lecteur pensif d’ouvrir ce petit livre :

« La fraternité, moyen de résister à la cruauté du monde doit  devenir but sans cesser d’être moyen. Le but ne peut être un terme, il doit devenir le chemin, notre chemin, celui de l’aventure humaine. … ».