Equilibre et équilibration dans l'oeuvre de Jean PIAGET

Note de lecture par LE MOIGNE Jean-Louis

Comme le concept piagétien d'équilibration est un des plus féconds dont nous disposions pour enrichir notre intelligence modélisatrice de la complexité, toute méditation le développant ne peut que nous enrichir collectivement.

Ce douxième Cahier de la Fondation Archives Jean Piaget (qui rend compte d'un séminaire de l'été 1991 apporte à l'entreprise une contribution historique intéressante (études de J. Vonèche et P. Mounoud) sur la genèse du concept chez Piaget dans les années vingt et trente, et une contribution originale sur les difficultés du décodage de l'équilibration dans les cultures anglo-sazonnes (S. Parrat Dayan et J. Vonèche). L'étude de J. Ducret "Equilibration des structures cognitives, cybernétique et I.A." me semble constituer un progrès ("équilibration majorante" ?) par rapport à son étude sur le même thème dans le Cahier n°11 (j'en avais proposé une discussion dans une longue note de la Lettre MCX n°14, janvier 1992). J. Ducret a enfin lu le texte épistémologique fondateur de l'I.A. (la conférence Turing de Newell et Simon, 1976) et il en propose une interprétation constructive, bien qu'encore partielle. Mais il n'a rien lu d'autre, si bien que sa conclusion semble passablement arbitraire : "L'explication piagétienne reste à ce jour la seule interprétation naturelle rendant compte du problème fondamental de l'épistémologie génétique : l'explication de l'existence de la raison". Qu'il existe une interprétation "naturelle", et une seule, de la raison, cela constitue-t-il une conclusion scientifique ou une croyance partisanne ? Et surtout, cette croyance peut-elle nous aider à mieux comprendre la complexité de la raison... et la raison de la complexité ? Ne faut-il pas s'interroger aussi sur la capacité de l'esprit (ou de la raison) à produire des symboles pour représenter les schèmes ? Réfléchir sur l'équilibration de l'organisation cognitive, n'est-ce pas réfléchir sur la fonction de "schématisation" (au sens où la développe J.B. Grize par exemple) ? Peut-être se libèrera-t-on ainsi de la pression de la métaphore physicaliste qui a imprégné la formation de la pensée du jeune Piaget, pression que met bien en valeur ce Cahier.

J.L.Le Moigne