LES DYNAMIQUES DE LA RENCONTRE

Note de lecture par GENELOT Dominique

En ces temps de débats généralisés, des plus débridés aux plus convenus, il est intéressant de se remettre en mémoire l’ouvrage de Gilles Le Cardinal « Les dynamiques de la rencontre », paru il y a 5 ans déjà ! L’intérêt de ce travail tient au fait que le modèle proposé, qui se donne comme objectif d’aider à comprendre la complexité des interactions entre humains, est « actionnable » sans être réducteur. Il ne prétend pas à l’universel. Prenant acte de la complexité des relations humaines, des situations conflictuelles, des antagonismes, des peurs, des attitudes dites « irrationnelles », Gilles Le Cardinal ose affronter la question du « comment faire » pour construire de la rencontre, pour créer une dynamique de « reliance » indispensable à la construction collective de sens, sans cesse à renouveler. Autrement dit, un « comment » au service d’un « pour quoi » ! Il définit dans les termes suivants les objectifs de son ouvrage : « Le but ultime est de proposer un modèle intégré de l’interdépendance, de la communication interpersonnelle, de la cognition, et de la personne humaine visant à faciliter l’intercompréhension, la coopération la résolution de conflits. »  (page 155). Le modèle proposé par Les dynamiques de la rencontre met en interactions trois processus : la communication, la cognition, l’individuation. L’auteur consacre un premier chapitre à la description des fondements des modélisations proposées, avec une large ouverture sur la complexité humaine et les références aux travaux d’Edgar Morin. Un second rappelle l’évolution des diverses modélisations de la communication interpersonnelle. Un troisième chapitre explore le vaste monde de la cognition : entreprise périlleuse, de l’aveu-même de l’auteur, forcément partielle, partiale et inachevée. Mais ce petit voyage dans les travaux récents et les controverses sur la cognition ne manque pas d’intérêt. A l’issue de cette exploration, G. Le Cardinal propose un modèle de la cognition mettant en avant six fonctions considérées comme essentielles dans le contexte de la dynamique de la rencontre : l’information (média), la représentation (culture), l’évaluation (éthique), la décision (gouvernance), l’émotion (psychologie), l’action (organisation). L’appropriation de ces trois concepts par le lecteur prend tout son intérêt dans le quatrième chapitre qui les relie pour proposer « un modèle de la rencontre intégrant les modèles de la cognition humaine, de la communication interpersonnelle, et de la personne unique et défaillante » (p. 199). L’opérationnalité du modèle est solidement argumentée et illustrée. Les nombreuses « défaillances » qui peuvent survenir dans les interactions entre humains sont intelligemment examinées, dans l’imbrication des trois composantes : communication, cognition, identité. Les attitudes d’écoute, la dimension éthique, la construction de la confiance, l’expression des finalités sont au cœur du modèle, non pas sous formes d’incantations naïves, mais comme des attitudes et des pratiques nécessaires à sa mise en œuvre. Un coup d’œil superficiel sur cet ouvrage pourrait laisser penser que son auteur cherche à nous vendre un modèle universel pour traiter les interactions humaines. Il n’en est rien, bien au contraire ! Il est vrai que l’exposé, souvent énumératif, agrémenté de schémas géométriques et structuré selon une numérotation décimale confère au livre une apparence quelque peu péremptoire ! Mais si l’on sait dépasser cette apparence, on découvre un auteur constamment réflexif sur ses propositions, citant abondamment ses sources, et affirmant à plusieurs reprises que sa modélisation n’a aucune prétention à l’universalité, mais qu’elle vise seulement à assembler des concepts et des réflexions élaborés par d’autres et qu’elle doit être soumise à discussion. Gilles Le Cardinal l’explique lui-même en ces termes : « L’avantage d’un modèle explicite comme celui que nous venons de présenter est de pouvoir y lire les travaux des autres chercheurs en sciences humaines, comme nous venons de le faire, en tentant de les interpréter dans le cadre du modèle. Le danger serait alors évidemment de tout vouloir faire dire au modèle et réduire ainsi les théories différentes à ce qui peut coïncider avec notre approche. C’est l’une des critiques les plus justifiées adressées en général aux modélisateurs qui s’acharnent à défendre, coûte que coûte, leur modèle parfois jusqu’à la déraison. Ils pensent que ce serait déchoir que de reconnaître les limites ou l’incomplétude de leur modèle. Le vrai modélisateur travaillant dans le paradigme de la complexité, lui, au contraire se  réjouit lorsque son modèle est en défaut, car cela signifie qu’il va apprendre quelque chose de nouveau qui lui avait échappé jusque-là. » (p. 232) Cette constante attention portée à l’incomplétude de toute modélisation n’est pas le moindre enseignement de cet ouvrage. Elle en renforce son intérêt et sa validité.