Droits de l'homme et dialogue interculturel

Note de lecture par DIEBOLT Serge

Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel est un ouvrage à part. Non seulement car il est écrit par le très dynamique Christoph Eberhard, animateur infatigable au sein de l'université Paris I Sorbonne du groupe de recherche qui porte le même nom (dont les travaux sont disponibles sur www.dhdi.org), mais parce que sa pensée, aux ambitions universelles mais à la démarche profondément humaine, fait appel à un concept qui tend à être par trop oublié ces derniers temps : le respect des autres.

Comme il le dit lui-même : l'ouvrage convie le lecteur à un voyage qui lui fera prendre conscience de l'inscription culturelle de la dynamique moderne des droits de l'homme et qui l'ouvrira progressivement d'abord à l'altérité par la rencontre avec d'autres traditions " juridiques ", dont certains n'ont même pas de véritable équivalent pour nos notions de " droit ", puis à la complexité par sa confrontation avec divers terrains qui illustrent qu'ils n'existent pas de cultures " homogènes ", " pures ", mais qu'on se trouve toujours dans des situations de pluralisme et de complexité qui sont plus ou moins bien " gérées ". Dans nos vies réelles en société, dans nos dynamiques de lutte ou d'émancipation de nombreux référents s'enchevêtrent. Une anthropologie dynamique du Droit permet de mieux les saisir et peut contribuer à défaut de proposer des solutions, de dégager des " manières de cheminer " sur la voie des droits de l'homme, plus dialogales et par ce fait plus enclin à constituer des voies de paix.

S'il est de bon ton de parler du " village planétaire " les évènements actuels nous interpellent : ne serait-ce pas plutôt à l'émergence d'un " archipel planétaire " que nous assistons, voire ne sommes-nous pas en train de nous acheminer vers un choc des civilisations ? Le débat sur le " global " se double de plus en plus d'une réflexion sur le " local ", menant certains à réfléchir en termes non plus de " globalisation " mais de " glocalisation ", voire " d'altermondialisation ". Dans ce contexte, réfléchir aux droits de l'homme est une manière de poser des pistes pour repenser la mondialisation autrement que comme simple occidentalisation du monde ou comme affrontement des cultures. Le défi principal consiste à sortir d'une logique d'exclusion des contraires (universalisme versus relativisme, " civilisation " versus " barbarie ", voire depuis un certain temps maintenant " axe du bien " versus " axe du mal ") pour s'acheminer petit à petit vers une logique de complémentarité des différences. C'est à cette condition qu'on pourra accéder à une approche pluraliste, non-hégémonique des droits de l'homme - qui nous obligera aussi de nous intéresser aux pratiques des divers acteurs dans leurs diverses localités et dans toute leur complexité.

Pour réfléchir à notre " vivre ensemble " ou à la " bonne vie " - dont les droits de l'homme constituent une expression dans notre tradition occidentale - il est aujourd'hui incontournable de s'ouvrir au dialogue avec nos diverses traditions humaines, de s'intéresser aux phénomènes de métissages culturels, de réfléchir à des manières d'articuler et ainsi de mutuellement enrichir des visions du monde et du droit au lieu de les opposer. Cette démarche permettra de dégager un horizon de partage pour nos communes humanités et nous fera prendre conscience de toute la richesse et toute l'inventivité qui sont déjà présentes : prendre en compte des réalités que nous avons tendance à ignorer en ne regardant que les " centres " et pas les " marges ", nous permet déjà par ce simple changement de regard de nous inscrire dans une autre mondialisation.

L'ouverture à l'altérité et à l'interculturalisme à un niveau plus général voire philosophique, est intimement liée à l'introduction des perspectives " du local ", de " la base " et des " pratiques " des acteurs. Il n'est pas suffisant de réfléchir à la problématique de l'État de Droit intimement liée à celle d'une approche " pragmatique " des droits de l'homme, c'est-à-dire visant à être effective sur les divers terrains - de manière globale. Il faut porter une attention accrue sur le " local ", pour comprendre comment bâtir des États de Droit concrets, comment incarner l'idéal des droits de l'homme dans les divers contextes historiques, sociaux, culturels et économiques. Les approches d'anthropologie du Droit se révèlent très utiles dans cette entreprise puisqu'elles se situent entre les démarches des juristes dont le souci est " d'organiser notre vivre ensemble " et celles des anthropologues qui essayent de comprendre comment nous vivons ensembles et qui sont sensibles à la grande variété de nos représentations, logiques, discours et pratiques … Ce qui les mènent à s'interroger : qu'est ce qui fait lien social ? Quels sont les modalités de partage de nos différentes vies ? Quelle rôle de mise en forme le droit joue-t-il dans ces processus ? Comment repenser autrement notre " vivre ensemble " ? Et comment jouer de manière constructive et dialogale le Droit et les droits de l'homme dans des contextes qui deviennent de plus en plus interculturels, afin de pouvoir remplir leur mission première de Paix ?

Un ouvrage transversal, fourmillant d'idées et de références, à lire pour y trouver des problèmes plutôt que des solutions, des expériences plutôt que des dogmes, bref, la complexité plutôt que la simplification réductrice. Je vous propose in fine cette invitation à la méditation : la simplification, voire le simplisme (axe du mal) serait-il le moyen de la guerre, et la complexité celui de la paix ?

Serge DIEBOLT