anthropocène

Note de lecture par ADAM Michel

Qui transforme aujourd'hui l'atmosphère au point d'en dérégler le climat? L'homme. Qui charrie plus de terre que tous les fleuves réunis? L'homme. Qui acidifie les océans ? L'homme. Qui est en train de détruire les espèces vivantes qui constituent notre biosphère? L'homme. C'est en cherchant à percer les mystères du réchauffement planétaire que les climatologues ont découvert une information essentielle : l'être humain est devenu la principale force géologique sur la planète. Et les stratigraphes d'aujourd'hui se réunissent (ce mois d'août 2011) pour déterminer comment traiter cette nouvelle ère dont la brièveté est justement la caractéristique. Car l'Anthropocène est avant tout cela : l'histoire d'une formidable accélération qui nous questionne aujourd'hui sur notre rôle: serons-nous les gardiens de la Terre ou les spectateurs impuissants de notre toute-puissance? Ce livre est le récit captivant dans l'espace et dans le temps (une trentaine d'années) du voyage d'un glaciologue, Claude Lorius, pionnier des recherches sur le climat et lauréat du Blue Planet Prize (l'équivalent du Nobel pour les questions écologistes), et d'un journaliste, Laurent Carpentier, écrivain et spécialiste de questions environnementales, aux confins de cette nouvelle ère, dont nous sommes les héros. Il nous conte aussi bien "les cinq âges" du paysan que la genèse des termes biosphère et noosphère. E. Morin est le livre de chevet de l'auteur principal et cela se sent dans la vigueur des dialogiques repérées. "Le grand révolutionnaire de la civilisation moderne, thermo-industrielle, c'est lui, l'ingénieur, admirable et inquiétant". Un livre qui interroge autant qu'il interpelle, lucide quant à la responsabilité partagée de chacun d'entre nous dans l'état actuel du monde. "Qu'on ne s'y méprenne pas, nous ne sommes ni lassés de cette Terre, ni lassés de cette civilisation, nous en sommes les fruits, très exactement, avec chairs et pépins (...)". "Nous sommes heureux d'avoir vécu ce que nous avons vécu. Mais le bleu du ciel est un faux ami (...)". "Nous aimons ce monde, nous aimons y vivre. Chants de liesse et chants de larmes. Mais si nous sommes devenus notre meilleur ennemi, il nous incombe de le dire." "La proposition d'introduire une nouvelle ère dans l'échelle des temps géologiques n'est pas "un effet de manche" (...) c'est une démarche de philosophe. Elle correspond à la nécessité d'offrir à toutes les disciplines un socle conceptuel commun pour définir une époque sans commune mesure avec aucune autre... C'est une démarche d'explorateur qui a besoin de repères." Un livre qui souligne la fécondité de la recherche quand la coopération unit les hommes comme ce fut le cas pour lui et quelques autres dans les glaces de l'Antarctique malgré la guerre froide. Les mots de la fin sont laissés à Edgar Morin : "le probable c'est la désintégration. L'improbable mais possible, c'est la métamorphose." Claude Lorius appelle au sursaut plutôt qu'au sursis. A la construction plutôt qu'à la seule dénonciation. Une postface de Michel Rocard montre comment l'homme politique peut parfois en utilisant la contingence, ses réseaux d'amis et son courage, faire pousser de beaux "fruits" dans les glaces. Michel Adam - 21 août 2011